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Exemple Julia ● Exemple Marie ● Exemple Ysé
Julia est le récit d’une femme née au début du XXe siècle, femme au foyer dédiée à sa famille, heureuse, se sentant à sa place, sans revendication d’un autre rôle à jouer. Elle a connu deux guerres, les privations, elle sait ce que la vie coûte.
Louise et ses trois enfants posent, juste avant la guerre de 14 ; le bébé, c’est la deuxième Marie-Louise. Il était fréquent à l’époque de donner à l’enfant suivant le prénom de celui qui venait de mourir. Lourd héritage !
Il existait une autre photo, identique, mais vieillie et froissée parce qu’elle avait séjourné dans la veste du père de Julia pendant toute la guerre de 14. J’imagine le soldat avec cette photo sur le cœur. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue.
René, le père de Julia, pendant la guerre de 14-18
Julia a poussé comme un haricot. Nous sommes en 1916, elle a huit ans et sa robe, la même qu’en 1914, un peu rafistolée, est devenue bien trop petite.
René posant en smoking. Après la mort de Louise, il s’est remarié avec Gabrielle M., que Julia et sa sœur appelaient secrètement « la mère tape dur ». Julia a ensuite toujours détesté les parfums à la lavande parce qu’ils lui rappelaient celui de sa belle-mère. Elle s’est beaucoup occupée de sa sœur, qui n’avait que douze ans à la mort de Louise. Elle a obtenu un diplôme de couturière et travaillé un peu à domicile avant de se marier. Ensuite, elle fera à ses enfants des vêtements sur mesure dès qu’elle aura un bout de tissu à sa disposition. Pendant la guerre, quand un tricot deviendra trop petit, elle le détricotera patiemment et en fera de grosses boules puis de nouveaux chandails.
Celui que Julia choisira plus tard, posant à l’âge de cinq ans. Il est né le 11 août 1908, dans le 15e à Paris. Lui aussi perd très jeune sa mère. Je crois me souvenir qu’on l’a longtemps habillé en fille, peut-être pour équilibrer la fratrie, déjà dotée d’un frère aîné, ou pour se consoler du chagrin d’avoir perdu deux petites filles, Georgette et Yvette, mortes vers l’âge de six mois.
Le même, à l’âge de sept ans, en 1915, dans son uniforme d’école, j’imagine. Au fait, il s’appelle Gaston !
Marius T., né le 9 octobre 1876, père de Gaston, occupe une place importante au New York Herald, à Paris. Très tôt orphelin, il a été recueilli par des cousins d’Amérique et a passé sa jeunesse dans ce pays. Le voilà (à droite), en 1927, place de l’Opéra, à deux pas de l’immeuble qu’occupe le journal, au 47 de l’avenue de l’Opéra. Il fera entrer par la petite porte son fils aîné, Marcel, qui gravira les échelons, du poste de coursier à celui de directeur de la publicité.
Voilà Gaston devenu ingénieur, sorti quatrième de sa promo, en 1928. À l’heure du cinéma parlant et avant son mariage, il installe des cabines de projection pour la société Charlin, surtout en Bretagne. Cela lui plaît beaucoup, mais il n’est pas toujours payé à la fin du mois. Un jour de 1932, à la condition qu’il ait un smoking, sa société le charge d’installer la salle de cinéma du Normandie, un des transatlantiques de l’époque. Il embarque sur le paquebot et organise des projections pour les passagers pendant la traversée jusqu’à New York. Traversée sur une mer houleuse, au cours de laquelle le piano se déplace au gré du roulis dans la salle de concert.
Julia et son bonheur d’être mère. Elle n’a cessé de câliner, nourrir, bercer, écouter les peines et les joies, rassurer, apaiser, prendre soin de tous ceux qu’elle aimait. Avec une bonne humeur, une sagesse et un optimisme constants. Le dernier petit mot qu’elle nous a écrit, déjà malade, dit tout son amour pour sa tribu.